Lors de la visite à l’Ecole des intellectuels d’Atyrau, le président kazakh Noursoultan Nazarbayev a proposé de changer le nom de son pays. Selon lui, le suffixe « stan » cause de la méfiance auprès des investisseurs et des touristes. Il souligne l’exemple de la Mongolie qui, avec ses 2 millions d’habitants, attire désormais les investisseurs étrangers. En langue altaï-turcique, la Mongolie se serait nommée « Mögulistan », mais elle a fait le choix de ne pas retenir ce suffixe, ce qui serait une des causes de son succès économique actuel. Similairement, le chef d’Etat espère attirer davantage d’investisseurs sur le marché kazakhstanais en se débarrassant du « -stan ». La proposition qu’il retient est « Қазақ елі » (Kazakh Eli), soit « Le pays des Kazakhs » en langue kazakhe. Toutefois, Nazarbayev souligne qu’ « avant [de renommer le pays], il faudra obligatoirement en discuter avec le peuple. »
Le «stan» : entre histoire et stéréotype
Le terme « stan », d’étymologie persane et ourdoue, se traduit initialement comme « le lieu » ou « l’endroit où l’on se tient ». Il partage ainsi une origine étymologique indo-européenne avec le latin « status », soit également avec l’ « Etat » en français. Avec le temps, la signification de ce terme a évolué vers une acception plus large, et tend à signifier simplement « le lieu où habite un peuple », ou « pays de ». Les cinq républiques d’Asie Centrale ont retenu cette terminaison.
Le problème lié à cette terminaison a déjà été soulevé sur le site de pétitions « onlinepetition.kz » en 2013. Comme l’indique le sujet intitulé « Image du pays – image du peuple », la plupart des étrangers ont tendance à confondre le Kazakhstan avec d’autres pays, notamment l’Afghanistan et le Pakistan, ce qui nuirait à l’image du pays. L’auteur de la pétition insiste sur le fait que malgré les efforts d’intégration du Kazakhstan sur la scène internationale et ses succès économiques et scientifiques, le suffixe « stan » l’entrave dans son ascension. Le changement équivaudrait ainsi à un « rebranding » vertueux pour le tourisme, les investissements et la perception du pays à l’étranger.
Une idée nationaliste
Cette proposition n’est pas nouvelle. Lors d’un rassemblement des nationalistes kazakhs en 2010, le besoin de changer le nom du pays était au centre des discussions. Les nationalistes avaient proposé de remplacer le nom de Kazakhstan par « État kazakh » ou « Kazakhie », ce qui reviendrait à inscrire l’ethnie kazakhe dans le nom du pays, alors que le nom actuel permet de maintenir la distinction entre Kazakhstanais (citoyenneté) et Kazakhs (nationalité).
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À son indépendance, le Kazakhstan a hérité d’une véritable mosaïque ethnique issue notamment des déportations staliniennes et des politiques de peuplement des terres vierges de l’URSS. Au cours des XIXe et XXe siècles, les Russes, Ukrainiens, Allemands ou encore Polonais ont été encouragés ou forcés à migrer vers les républiques centre-asiatiques. De ce fait, la définition d’une identité nationale s’avère difficile, alors que le Kazakhstan ne fait pas exception à l’affirmation de plus en plus vive de la culture et de la langue de l’ethnie « titulaire » (soit correspondant à l’appellation d’une république) dans les anciens pays soviétiques. Des 17 millions d’habitants du Kazakhstan, plus de 40% font partie de minorités, et l’ethnie majoritaire kazakhe sent sa langue et sa culture menacées. Un débat politique récurrent au Kazakhstan concerne l’usage de la langue kazakhe dans la vie politique et économique du pays, alors que le russe y domine toujours. La question du statut officiel de la langue russe avait déjà donné lieu à d’importantes polémiques dans les années 1990 : en 2000, elle a été consacrée comme langue d’usage officielle à égalité avec le kazakh (selon l’article 7-2 de la Constitution). Les Kazakhs, minoritaires dans leur propre pays en 1989, forment aujourd’hui une légère majorité de la population, en partie grâce à la politique de promotion nationale du gouvernement après son indépendance.
La promotion active de l’ethnie kazakhe
Cette politique consiste, d’une part, à attirer les Kazakhs habitant les républiques voisines. Afin de favoriser le retour de ces « oralmans », le gouvernement a mis en place le programme Nourly kosh (« migration claire » en kazakh) qui leur accorde un accès gratuit à des services publics ainsi que des aides financières. Les services concernés incluent l’enseignement supérieur, l’aide à la recherche d’emploi, l’apprentissage des langues kazakhe et russe et des services médicaux. Ils bénéficient également d’allocations ponctuelles, d’aide financière pour l’achat d’un logement et du remboursement des frais de rapatriement.
La langue kazakhe sous pression
Malgré ces efforts, l’identité kazakhe reste marginalisée. Les grandes villes sont généralement russophones, et la langue kazakhe ne joue qu’un rôle symbolique et politiquement instrumentalisé dans le pays. Elle est avant tout pratiquée dans les villages, et peine à retrouver une place centrale dans la société, alors que les médias russes et russophones restent omniprésents. D’autre part, la place de l’anglais croît considérablement, en particulier parmi la jeunesse. Par exemple, la Nazarbayev University, université d’élite fondée récemment à Astana, est entièrement anglophone. Le pays est également très urbanisé: plus de 60% de la population habitent en ville, où la langue d’usage administratif et de communication est restée le russe.
La capitale Astana : défense de la nation kazakhe
Le changement de capitale d’Almaty à Astana en 1997 avait pour but de réaffirmer la souveraineté de la République kazakhe sur le nord du Kazakhstan peuplé à plus de 70% de Russes et que des figures comme l’écrivain et dissident soviétique Soljénitsyne revendiquaient comme partie intégrante de la Fédération de Russie au début des années 1990. En plaçant le cœur administratif du pays dans cette région voisinant la Russie, le Kazakhstan espérait ainsi mettre fin aux velléités indépendantistes exprimées par certains groupements nationalistes russes, notamment des organisations cosaques. Ce changement a toutefois eu comme effet collatéral de renforcer l’influence de la culture et de la langue russes directement dans la capitale. Cette influence s’inscrit même dans l’architecture d’Astana. L’immeuble « Triumph » au cœur de la nouvelle capitale, reproduit ainsi à l’identique le bâtiment de l’Université d’État de Moscou (MGU), symbole du style stalinien.
Malgré les efforts menés, l’ethnie kazakhe semble encore sous pression, c’est du moins de cette façon que la situation est vécue et énoncée par le pouvoir politique. On observe une explosion démographique de la population ouzbèke au sud. Au nord, l’influence russe est fortement ancrée et ne semble pas se renverser. Au-delà des facteurs économiques, cette déclaration à propos d’un changement de nom pour le Kazakhstan peut être liée au nationalisme kazakh et s’inscrit dans une tentative plus large de restaurer l’identité nationale.
Un changement de nom dans la logique de la « kazakhisation »
Dans ce sens, une telle mesure serait dans la continuité de la « kazakhisation » de nombreux noms de villes, de rues et de lieux dits, et peut être liée au projet d’établir l’alphabet latin pour la langue kazakhe à partir de 2025. Comme le remarque Mukhit-Ardager Sydyknazarov, politologue au Centre d’études contemporaines du Kazakhstan: « Au bout du compte cette idée rappelle un jeune qui a obtenu sa première carte d’identité à la majorité et peut enfin lui-même décider de l’orthographe de son prénom et de son nom de famille et à quelle famille – voire à quelles familles il appartient. ».
À cela s’ajoute la volonté d’une attache « européenne » de ce pays disposant d’une partie de territoire minuscule à l’ouest du fleuve Oural (considéré par certains comme la limite de l’Europe géographique). Par ailleurs le Président a basé toute sa « Stratégie 2050 » sur le concept de l’eurasianisme, cherchant à établir le Kazakhstan comme une puissance régionale. Se défaire du « -stan » permettrait ainsi au pays de se détacher symboliquement d’un «Sud» ou d’un «Tiers-Monde» dont il s’écarte économiquement.