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CICA : un pas supplémentaire vers « l’orientalisation » des relations internationales ?

Les événements géopolitiques marquants de ces dernières années dans le monde ont accru les contrastes entre l’Est et l’Ouest. L’émergence de la Chine, de l’Inde, et la réémergence de la Russie comme puissance stratégique, ont accentué ce processus d’éloignement, à l’aune de la crise en Ukraine.

Les actions de l’Occident en Eurasie dans la dernière décennie – opérations en Afghanistan, en Iraq, soutien à la rébellion en Syrie, sanctions contre l’Iran et enfin crise en Ukraine – semblent avoir renforcé une unité de destin et une garantie de sécurité collective entre les pays de l’Eurasie, en quête d’une entité politique gérée par des acteurs régionaux.

L’on observe ainsi un renforcement récent des organisations « orientales », afin d’assurer la sécurité régionale et ce, sans ingérence de l’Occident. Les organisations telles que l’Association pour la Coopération Economique pour l’Asie-Pacifique (APEC), le Sommet de l’Asie orientale (EAS), l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO), le Dialogue pour la Coopération asiatique (ACD), l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), la Conférence pour l’Interraction et les mesures de Confiance en Asie (CICA), en sont les exemples les plus significatifs. Mais, jusqu’à aujourd’hui, les asymétries économiques et politiques entre ces pays d’Eurasie ne leur avaient pas permis de se réunir solidement autour d’une organisation centrale.

La Chine et la Russie, par exemple, ont tenté à plusieurs reprises d’étendre leurs influences, via la création d’organisations transrégionales, se basant notamment sur des contextes historiques, des intérêts économiques et des convergences sécuritaires. Jusqu’ici, la concurrence entre les deux pays rendait caduque d’entrée de jeu ce processus de coopération stratégique.

Une OSCE orientale, mais sans sentiment d’appartenance commune

La CICA (Conférence pour l’interaction et les mesures de Confiance en Asie) est une illustration caractéristique de ce type d’organisation. Se voulant similaire à l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), elle a été créée en 1992 à l’initiative du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev. Cette dernière organisation regroupe aujourd’hui ainsi 24 pays, dont la Russie, la Chine et l’Inde. L’objectif de cette organisation tient à la promotion de la paix en Asie et souhaite jouer un rôle prépondérant dans la résolution des conflits rémanents sur le continent, comme celui qui oppose l’Inde au Pakistan, Israël à la Palestine…

Les pays membres de cette organisation représentent ainsi plus de 90% du territoire asiatique, c’est la seule organisation qui a pour l’heure réunie autant de pays d’Asie. Aussi, l’organisation réunie toutes les puissances nucléaires du continent, sauf, bien sûr, la Corée du Nord.

Après sa création en 1992, la CICA est restée quasi muette. En 2002, le premier Sommet entre Etats a été organisé à Almaty au Kazakhstan. Ce sommet aura été l’occasion pour ses membres de définir les principes fondamentaux de la CICA, sur la base des mesures de confiance, équivalent, du reste à ceux que l’OSCE avait adoptée à Helsinki en 1975 :

  • Egalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté ;
  • Non-recours à la menace ou à l’emploi de la force ;
  • Intégrité territoriale des Etats membre ;
  • Règlement pacifique des différends ;
  • Non-intervention dans les affaires intérieures ;
  • Coopérationéconomique, sociale et culturelle ;
  • Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales…

Certains voient ainsi la CICA comme étant, un peu, la déclinaison orientale de l’OSCE. Et il y a en cela une véritable nécessité à l’être, puisque l’Asie reste le foyer de plusieurs facteurs de tensions, comme le terrorisme, la prolifération des armes nucléaires, la production et l’exportation de stupéfiants, la pauvreté, sans oublier aussi les affrontements interétatiques et interethniques. Cependant, à la différence des pays de l’OSCE, les pays membres de la CICA n’ont pourtant rien d’autre en commun que leur appartenance commune au continent asiatique.

C’est là sa principale faiblesse.

La CICA réactualisée par un sentiment d’insécurité partagé

Après les événements de 11 septembre 2001, est née en Asie une autre raison pour se rassembler autour de la CICA : celle d’une « perception » de l’influence néfaste ou tout au moins critiquée occidentale, considérée comme facteur de déstabilisation pour la sécurité de ces pays. Les guerres en Afghanistan, en Irak, et la cristallisation des relations entre Israël et certains de ses voisins du Proche-Orient, notamment la Turquie, ont renforcé la légitimité de cette organisation.

De la même manière, après les événements des années 2000 dans les pays d’ex-URSS, les révolutions dites de couleurs (Géorgie et Ukraine en 2004, au Kirghizistan en 2005), les confrontations ethniques au sud de Kirghizistan, la guerre en Géorgie et la crise politique actuelle en Ukraine, l’OSCE a été sévèrement critiquée par la Russie ainsi que par d’autres pays de la région pour son ingérence et son manque de solutions en cas des conflits. De surcroît, en 2010, l’accueil du Sommet de l’OSCE par le Kazakhstan a généré des réticences de plusieurs pays membre occidentaux, et demeure la source de vives critiques eu égard à son manque de neutralité idéologique de l’organisation, du moins est-ce perçu comme cela au-delà de l’Oural.

Ces facteurs ont ainsi généré et nourrissent encore un certain sentiment d’insécurité parmi les pays de l’ex-URSS, surtout en Asie Centrale.

Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ont ainsi très récemment et plus clairement affiché leurs souhaits de contribuer au développement futur de la CICA après les tensions liées à ces révolutions dites de couleurs.

Aujourd’hui la Russie et la Chine soutiennent la CICA afin d’y trouver un terrain de réconciliation politique. Les relations entre les deux pays sont au plus haut niveau depuis la rupture sino-soviétique, malgré une féroce concurrence, notamment en Asie centrale. La guerre civile en Syrie et la crise ukrainienne ont joué un rôle important dans ce rapprochement.

La CICA n’est pas synonyme d’isolationnisme asiatique

Il faut toutefois se garder de percevoir le CICA comme une organisation anti-occidentale servant un isolationnisme asiatique. Se voulant une organisation similaire à l’OSCE, la CICA ambitionne d’être une OSCE asiatique. A la différence de l’OSCE pourtant, la CICA conçoit son rôle et son utilité plus largement.

L’Asie n’est pas divisée en deux camps idéologique et politique. Au contraire, l’Asie regroupe des pays idéologiquement et politiquement hétérogènes. Contrairement à l’Occident, il n’y a pas encore en Asie un pays dans une position claire de leadership moral autant qu’économique comme le sont les Etats-Unis.

D’un côté, cela pourrait être un facteur de développement pour la CICA, apte à remplacer l’influence idéologique d’un hégémon dans la région ; mais de l’autre côté, le manque de leadership d’un pays en particulier pourrait être la cause principale de dysfonctionnement des activités de l’organisation. L’on observe, en effet, dans les pays membre de CICA, le non-respect quotidien de certains de ses principes fondamentaux, comme par exemple la question de la province Xinjiang-Ouïgour pour la Chine ou les droits des kurdes pour la Turquie.

Le danger pourrait d’ailleurs bien venir d’Asie centrale. La concurrence entre la Chine et la Russie quant à leur influence réciproques en Asie centrale est de plus en plus féroce. Les sanctions engagées contre la Russie, suite à la crise ukrainienne, engendreront inévitablement le retour du « grand frère » dans la région, et les confrontations des intérêts pourraient en être une déclinaison collatérale.

C’est pourtant avec la Chine qui en assurera la présidence entre 2014 et 2016 que le calendrier pourrait s’accélérer.

Une organisation intergouvernementale encore à la recherche de résultats concrets

Le prochain sommet aura d’ailleurs lieu, les 20 et 21 mai prochains à Shanghai, en présence de Vladimir Poutine. Par ailleurs, il y a quelques jours, une importante délégation russe (sous couvert de la Commission intergouvernementale sino-russe sur la coopération énergétique) est venue à Pékin pour s’entretenir avec les autorités chinoises, notamment au sujet de la coopération énergétique. Du reste, en février dernier, le Président chinois Xi Jinping, en visite à Sotchi, à l’occasion des JO de l’hiver dernier, s’était déjà longuement entretenu avec le président Poutine, notamment concernant ses projets énergétiques trans-asiatiques, qui confirment une « orientalisation » des flux énergétiques.

Une nouvelle fois, donc, c’est à Shanghai que l’on verra la signature de nouveaux contrats bilatéraux, en particulier dans le domaine énergétique. Peut-être est aussi cela la meilleure façon de construire de la confiance ?

Néanmoins, bien que les réunions se multiplient, la séance plénière ne s’est pourtant réunie qu’une fois en quatre ans. Au sein de l’organisation, la culture du dialogue constructif et surtout le manque de confiance entre les États membres a obéré, in fine, le fonctionnement même de cette organisation intergouvernementale.

Une autre question demeure prégnante : Pourquoi une telle idée n’a pas été in fine couronnée de succès ?

Tout d’abord, le Kazakhstan, en tant que l’initiateur et l’organisateur n’avait pas d’autorité politique suffisante (notamment sur le plan du poids politique) pour un projet d’une telle ampleur (suite à l’effondrement de l’Union soviétique, le Kazakhstan a ainsi dû faire face au manque d’effectif diplomatique et des experts sur la zone).

Deuxièmement, les États membres eux même ne faisaient guère d’effort afin de dialoguer et de trouver des compromis. Chaque États utilisaient la CICA pour ses propres intérêts (l’exemple de la Turquie et du Pakistan est, de ce point, saisissant).

Ce scénario qui veut que l’enterrement de la CICA s’accélère présente d’ailleurs étrangement les mêmes symptômes cliniques de ceux liés à l’autre tentative avortée d’intégration politique et de coopération économique continentale : l’Organisation de Coopération de Shanghai.

 

Par Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et Akhmed Rakhmanov, chercheur au sein de l’IPSE