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Les islamistes ouzbeks: quel Jihad?

Depuis la proclamation d’un Etat Islamique en Irak et en Syrie, les informations sur les filières jihadistes ouzbèkes se rendant en Syrie se sont multipliées. Les combattants eux-mêmes ont posté plusieurs vidéos sur la toile, brûlant leurs passeports ouzbeks, ou appelant leurs compatriotes à rejoindre leur guerre sainte.

Les médias libres, comme Ozodlik (service ouzbek de RFEL) ou BBC Uzbek ont même pu interviewer certains combattants sur leurs parcours et leurs points de vue idéologiques.

Les autorités ouzbèkes n’ont pas tardé à réagir. Le 31 octobre 2014, le Comité des Affaires Religieuses d’Ouzbékistan a averti la population sur la menace de Daesh en Asie centrale.

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Mais quels sont les véritables risques du retour des islamistes en Ouzbékistan

Jusqu’à aujourd’hui, les combattants islamistes ouzbeks s’étaient concentrés en Afghanistan et au nord du Pakistan dans les groupes armés du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO) et de l’Union du Jihad Islamique, tous deux alignés sur Al-Qaeda. Ces dernières années les deux organisations terroristes se sont éloignées de leur but premier visant à renverser le régime actuel en Ouzbékistan, pour se tourner vers un Jihad internationalisé — notamment contre la coalition internationale en Afghanistan. En 2001, suite à l’intervention de la coalition, l’Ouzbékistan était parvenu à inscrire le MIO sur la liste des organisations terroristes. Depuis lors, les islamistes ouzbeks ont eu affaire avec l’OTAN, et ont vu leurs capacités militaires et organisationnelles presque réduites à néant.

De surcroît, du fait d’un contrôle drastique des canaux de communication par les services secrets ouzbeks, le recrutement d’islamistes est allé en se complexifiant. De ce fait, la composition ethnique des mouvements s’est diversifiée. On y trouve parmi d’autres des ouïgours, des tadjiks, et des ouzbeks d’Afghanistan. Cette multiplication des filières a engendré une diversification des motivations des combattants au sein des mouvements, brouillant aussi bien les structures que les messages. Au final, cette hétérogénéisation des mouvements les a éloigné de leur définition par simple circonscription géographique à «l’Ouzbékistan».

Aujourd’hui, le MIO est dans un état déplorable. Depuis qu’Al-Qaeda a perdu de son poids, le MIO a dû s’engager dans des combats non-désirés pour trouver de nouvelles sources de financement et ainsi subvenir aux besoins matériaux essentiels de ses combattants — installés pour la plupart avec leurs familles dans les zones tribales du Waziristan. Dans ce sens, le mouvement ressemble aujourd’hui d’avantage à une bande des mercenaires.

En 2007 par exemple, le MIO a pillé les populations tribales du Waziristan, entraînant la mort de personnages influents des tribus locales. La riposte des talibans a fait perdre 200 combattants au MIO. Aux exactions s’apparentant au pillage et au rackett s’ajoutent aujourd’hui d’autres activités lucratives, comme la sécurisation des convois de drogues vers la Chine, sur les routes d’Asie centrale et du sud du Pakistan, ou encore la participation rémunérée à des attaques terroristes. Si d’un côté la multiplication des activités est un moyen de stabilisation financière, cela permet d’autre part au MIO de s’affirmer en tant que mouvement actif dans le Jihad. L’attaque à l’aéroport de Karachi le 9 juin 2014, en collaboration avec le mouvement des talibans du Pakistan, Tehrik-e-Taliban, relève de cette volonté d’affirmation.

Malgré cela, le mouvement essaie tant bien que mal de consolider son existence, à l’appui de propagande de grande envergure sur internet, et de déclarations exagérées. La série «Qaboilda nima gap» mettant en scène la vie quotidienne des islamistes et les conditions de vie de leurs familles en est un exemple. Avec cette série, le mouvement entendait montrer que son combat continue toujours malgré la perte de nombreux de ses leaders. Il s’agit aussi d’un appel aux autres radicaux pour rejoindre leurs forces, alors que les autorités pakistanaise sont entrepris de nettoyer la zone afin d’y restaurer l’ordre et l’autorité.

Les pakistanais progressent en prenant les positions stratégiques du Nord Waziristan, contribuant largement à la baisse du moral des combattants du MIO, tant ces victoires sont relayées par les médias.

Aussi, l’avancée de l’Etat Islamique en Irak et en Syrie n’a-t-elle pas laissé le mouvement indifférent. Sans le soutien d’Al-Qaeda, et embourbé dans ses conflits en Afghanistan et au Pakistan, le mouvement est en déclin. La déclaration d’Usman Ghazi, l’émir du MIO, publiée le 26 septembre 2014 sur internet, a signifié son désir de continuer le combat au sein de l’Etat Islamique.

Pour autant, est-ce qu’Al-Baghdadi acceptera que le MIO joigne son combat à celui de l’Etat Islamique?

La multiplication des échecs du MIO ces dernières années, notamment en s’attirant les foudres des talibans au Nord Waziristan, ne laisse pas entendre un accueil favorable de Daesh. Par ailleurs, Usman Ghazi, de son véritable nom Valiyev Abdunosir, né en 1970 à Tachkent, est bien connu des autorités ouzbèkes. Il s’est fait remarqué pour la première fois lors des attentats de 1999 à Tachkent. Les services secrets ouzbeks l’ont vite arrêté pour avoir détenu des publications jihadistes et avoir été adhérent du parti Hizb ut-Tahrir. Pendant les enquêtes, Valiyev s’est échappé de prison, puis a fui le pays — situation inédite en Ouzbékistan, surtout quand les accusations touchent à l’islamisme radical.

Par ailleurs, depuis qu’il est membre du MIO, les «malheurs» au sein du mouvement se sont multipliés. La mort dans des circonstances troubles de Djouma Namangani et Takhir Yuldash, figures emblématiques, puis la division du mouvement à partir de 2002, et enfinles conflits aves les Talibans, laissent penser qu’Usman Ghazi aurait été recruté par les services secrets ouzbeks pour infiltrer le mouvement. De surcroît, la femme d’Usman Ghazi vit actuellement à Tachkent sans être inquiétée par les services, alors que les autorités sont réputées peu conciliantes avec les familles des opposants. Plusieurs experts iraniens et des russes orientalistes ont appuyé l’hypothèse de liens entre Usman Ghazi avec les services ouzbeks. Cette donnée ne plaide évidemment pas en faveur de la fusion du MIO avec Daech.

Si le mouvement ne s’attire pas les faveurs d’Al-Baghdadi, il risque de disparaître du Nord Waziristan. Les forces pakistanaises s’introduisent en effet de plus en plus dans la région, et les conflits avec les Talibans et les tribus locales isolent le MIO. De la même manière, l’essentiel des sources financières -l’accompagnement des convois de drogues, est aussi en danger. Les Etats de la région, même l’Afghanistan, commencent à s’engager dans la lutte contre la drogue. Enfin, la coupure des fonds d’Al-Qaeda a mis en concurrence les mouvements islamistes dans la recherche de fonds.

Quant aux Ouzbeks en Syrie, ils sont issus d’une nouvelle génération, d’une classe défavorisée et essentiellement rurale. Ils ne sont pas des produits de la société ouzbèke, mais d’avantage le résultat des conditions de vie lamentables des immigrés en Russie. La montée du nationalisme russe et la politique populiste de la Russie vis-à-vis des immigrés, a créé une identité musulmane aussi bien pour les immigrés d’Asie centrale que les citoyens russes musulmans, comme des tchétchènes. Cette identité est une réaction au rejet des musulmans en Russie, en même temps nourrie par l’anti-occidentalisme russe.

Aussi, afin de s’inscrire dans l’Oumma, cette nouvelle identité est d’avantage sensible à un Islam qui rejette les valeurs traditionnelles des sociétés locales.

Cette «reconversion» est souvent observée chez les jeunes dés l’adolescence

L’appât du gain n’est évidemment pas à négliger. Les combattants de l’Etat Islamique, selon certaines informations, peuvent toucher entre 2000 et 5000 dollars américains par mois, alors que le salaire moyen est de 200 dollars en Ouzbékistan.

Les recrutements dans cette nouvelle génération se font via internet, sur les réseaux sociaux russes, comme Odnoklassniki ou encore Vkontakte. On rassemble ensuite les jeunes recrues sur des chantiers en Russie pour gagner suffisamment d’argent pour le trajet jusqu’en Syrie. Ce mode de recrutement est très efficace et presque invisible. Il est en effet difficile de repérer les futurs jihadistes parmi des millions d’ouzbeks immigrés en Russie -surtout quand la plupart ne comprennent pas le véritable but de leur mission.

Pour ces raisons les services secrets ouzbeks ont mis en placedes interrogatoires non-officiels des migrants ouzbeks retournant de Russie. Depuis les années 1990 la société ouzbèke est en évolution. Plus laïc et tolérant, et instituant un Islam officiel, l’Etat a créé les marges dans lesquels prospère l’Islam radical. Mais ce qui peut être le plus inquiétant pour le pays, c’est la possibilité d’une déstabilisation par les islamistes, qui pourrait engendrer des conflits socio-économiques et régionalistes, là où des régions entières sont laissées à leur sort et où prospèrent les problèmes sociaux.