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L’islamisme: nouvelle gangrène du Kirghizistan

Pays totalement enclavé à l’extrémité orientale de la région d’Asie Centrale, le Kirghizistan doit faire face à des défis difficiles à relever malgré une importance géopolitique moindre aux côtés de ses deux grands voisins, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Après deux révolutions, et en dépit de l’apparition de conflits intérieurs et frontaliers récurrents, le Kirghizistan est devenu un modèle démocratique dans la région, avec toutefois un lourd prix à payer. Certes, il s’agit aujourd’hui du pays le plus libre de la région, mais les problèmes sociaux-économiques, politiques et géopolitiques ont pour conséquence un enchainement de crises et une gangrène du corps social, d’un nationalisme farfelu à la montée de plus en plus préoccupante de l’islamisme.

Depuis des décennies, la fracture nationale du pays est la cause essentielle des problèmes. La minorité ouzbèke, avec sa forte présence (autour de 15%) et sa puissance économique réputée plus importante que celle de la majorité kirghize, a toujours représenté un facteur de déstabilisation pour l’unité nationale. En cause, la prédominance d’un phénomène de solidarité ethnique sur le territoire où elle est démographiquement plus concentrée : le sud du pays, la vallée du Fergana qui constitue le second foyer principal de peuplement de la République. On y trouve les villes d’Och et de Jalal-Abad. Déjà, en 1989 et en 2010, cette situation s’est soldée par des effusions de sang particulièrement brutales. Depuis, les Ouzbeks, qui ont perdu le statut spécifique dont ils bénéficiaient, n’aspirent qu’à vivre en paix. Mais la pression politique de la part des Kirghiz, alimentée par le nationalisme et la neutralité du pouvoir ouzbek pendant les événements tragiques, ont conduit les Ouzbeks du Kirghizistan à trouver refuge auprès de l’Islamisme radical.

Un second facteur, plus larvé, mais probablement plus conséquent, est le contrôle de plus en plus difficile sur les institutions religieuses, qui produisent de redoutables prêcheurs djihadistes. Par effet d’aval, ces djihadistes séduisent à leur tour certains hommes politiques ou d’importants responsables administratifs. Des organisations, telles qu’Hizb ut-Tahrir (un groupe fondé à Amman en Jordanie en 1953 par le cheikh Taqiuddin an-Nabhani), interdite au Kirghizistan comme dans l’ensemble de la région, ou Tablighi Jamaat, dont les activités sont prohibées dans toute la région ainsi qu’en Russie, mais tolérée par la commission des affaires religieuses de la République du Kirghizistan, sont actives à travers tout le pays. Ces deux organisations ont la réputation controversée de dissimuler leurs activités de recrutement de candidats pour le djihad sous la couverture d’un Islam non-violent. Plusieurs cas de recrutement par ces organisations de nouveaux djihadistes pour le Moyen-Orient ont récemment été révélés.

Certains membres de ces organisations bénéficient de contacts hauts placés au sein du gouvernement, et infiltrent des établissements publics où se concentre une part importante des populations défavorisées, plus facilement séduites par une rhétorique de pureté religieuse, un « Islam pur », afin de les envoyer au djihad de par le monde. Or, les prisons restent de notoriété mondiale le lieu le plus propice à ce genre de radicalisation. Ainsi, le qadi (arabe: قاضي , Qazi en Asie Centrale, juge musulman remplissant des fonctions civiles et religieuses, juge de paix et notaire) de la région de Jalalabad, Abdulaziz Aji Zakirov, connu comme fervent partisan du mouvement Tablighi Jamaat, en français « l’Association pour la prédication » (une société de prédication musulmane revivaliste), a pu obtenir via ses canaux politiques la permission de faire visiter chaque vendredi les prisons aux imams de la confrérie, afin de propager un islam dit « pacifiste ». Dans le même temps, l’imam d’une mosquée de Jalalabad, « Ayti » — Aybek Atiyev, sous la protection de Zakirov, a obtenu la permission de se rendre chaque vendredi dans une colonie de prisonniers locaux afin de leur apprendre les valeurs islamiques. Confrontés à des problèmes sociaux très lourds, et souffrant de la corruption, les prisonniers sont particulièrement séduits par les discours de ces imams.

Dans manière plus générale, Zakirov est également un professionnel dans la diffusion de l’influence de Tablighi Jamaat dans la région de Jalalabad. Il organise des actions pour répondre à certains problèmes sociaux dans la région, réunit des volontaires, organise le ramassage des poubelles de la ville négligées par les administrations locales, rencontre les étudiants afin de les aider à définir leurs difficultés majeures pour les relayer aux autorités. Sous couvert de ces ambitions philanthropiques, les prêcheurs islamistes ciblent très stratégiquement leur public, à savoir, la jeunesse défavorisée.

Selon les informations données par les pays d’Asie Centrale, on compte près de 1000 individus issus de ces filières dans les zones de combat en Syrie et en Irak, dont 300 du Kazakhstan, 200 du Tadjikistan, 300 ouzbeks et 150 kirghiz. Mais la nuance ne tient pas tant à la quantité, qu’au lieu de recrutement. Les ouzbeks et les tadjiks ont essentiellement été recrutés en Russie. Les services secrets de ces deux pays ont en effet pris le contrôle de l’ensemble des canaux de communication, et de presque toutes les institutions. Il est donc impossible de mener une propagande islamiste efficace, et de recruter de nouveaux combattants. Les djihadistes Kirghiz et Kazakh ont quant à eux tous été recrutés sur place. Avant que le Kazakhstan ne se rende compte du problème, les candidats kirghiz suivaient déjà la trajectoire Kirghizistan-Kazakhstan-Turquie-Syrie. Après que le Kazakhstan a renforcé les contrôles, les futures djihadistes ont changé de trajectoire pour un axe Kirghizstan-Russie-Turquie-Syrie.

La question se pose, la menace islamiste en Asie centrale est-elle réelle ? La réponse peut être fort ambigüe, et doit être nuancée. Il est difficile de se prononcer sur la réalité du phénomène tant il est protéiforme, avec un amas d’informations, et compte tenu des tentations de manipulation des intéressés.

Aujourd’hui il est possible de constater que des ressortissants de l’Asie centrale sont de plus en plus présents et visibles en Syrie et en Irak. Aussi le groupe connu sous le nom de Khorasan, regroupe-t-il des djihadistes d’Asie centrale, réunis sous la bannière des deux groupes islamistes ouzbeks, Katayib Imam Al-Boukhariy et Jamaat Abu-Salokha. Bien sûr, ces groupes sont loin d’être prépondérants par rapport aux autres groupes islamistes comme Jabhat al-Nousra, Front Islamique, Ahrar ash-Sham ou encore Jaish al-Muhajireen wal-Ansar. Néanmoins, les djihadistes d’Asie centrale ont pu gagner la réputation d’être des combattants efficaces, voir même symboliques. Cette image attire de plus en plus de jeunes de la région ainsi que d’autres mouvements islamistes de même origine. Le retour de ces islamistes se déroulera probablement via deux ensembles géographiques.

Tout d’abord, par la Chine, le Mouvement islamique du Turkestan oriental profite du départ d’Afghanistan des troupes occidentales, et appelle au djihad contre la Chine, qui oppresse les musulmans dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang-. Cet appel n’a pas été lancé en l’air, le groupe médiatique As-Sabah, créé par des islamistes radicaux, et à propos de qui le magazine anglophone « Resurgence » évoque déjà dans son même premier numéro le MITO, relaie l’appel aux forces islamistes à combattre le gouvernement chinois, puis à passer en Asie centrale via le Tadjikistan et le Kirghizistan. Un article illustrait également la tribune d’Al-Baghdadi, où le calife appelait le monde musulman à restaurer les droits des musulmans du Xinjiang.

Ensuite, par la Turquie. En ce moment même, l’information a été donnée que les membres des groupes djihadistes ouzbeks se retrouvaient en Turquie sous la protection de certaines autorités locales. Un important chef de la logistique de Jamat Abu-Salokha, D. Juspaliyev, sous le pseudonyme de Dilmurod ou Murad, se trouve aujourd’hui même en Turquie. Il s’occupe de l’approvisionnement technique, de groupes financés par les fonds de charité Qataris. Selon des combattants, Il est responsable de recycler l’argent en médicaments, uniformes (…). et d’envoyer ce matériel en Syrie à destination de la ville d’Idlib, où se trouve le quartier général du groupe, le tout sous les yeux des autorités locales turques. Juspaliyev originaire d’Och doit envoyer au moins 20 nouveaux combattants par mois. Le retour de certains combattants en Turquie est aussi relativement facilité. En Turquie, une large diaspora d’islamistes se concentre et envoie des soutiens financiers et matériels en Syrie. S’il est question d’un retour au pays, il est envisageable que les islamistes reviennent en Turquie, puis passent en Russie pour finalement revenir en Asie centrale.

La situation actuelle au Kirghizistan peut être profitable aux islamistes afin de démarrer une déstabilisation de la région. Le système sécuritaire Kirghiz est affaibli à la demande des organisations internationales, et a perdu son contrôle sur les institutions. Le pays est devenu vulnérable au terrorisme grandissant dans la région. Surtout, si des islamistes décident d’attaquer en passant par la région du Xinjiang en Chine, le Kirghizistan aura du mal à faire face seul à ce problème. Dans ce scénario, les Américains risquent d’être parmi les premiers accusés, tant la diffusion de la démocratie au Kirghizistan a fragilisé le pays par rapport à ses voisins.

La thèse d’une invasion de l’Asie centrale par les islamistes qui est de plus en plus véhiculée dans les médias occidentaux et de l’espace post-soviétique, justifie le renforcement des systèmes sécuritaires de la région, notamment en Ouzbékistan.