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Terrorisme : pourquoi voit-on autant d’Ouzbeks dans les attentats ?

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L’Ouzbékistan et les Ouzbeks ont été pointés du doigt après les attentats de Stockholm et de Saint-Pétersbourg. Mais contrairement à une idée de plus en plus répandue, l’Ouzbékistan n’est pas une fabrique à djihadistes. Explications.

Le 3 avril dernier, un jeune Ouzbek dépose une bombe dans la station place Sennaïa et meurt dans l’explosion en plein cœur de Saint-Pétersbourg. L’attaque est hautement symbolique, dans l’ancienne capitale de la Russie impériale.

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Peu après, le 7 avril, une autre attaque terroriste frappe en plein centre de Stockholm. La Suède est sous le choc, n’ayant pas eu à déplorer une attaque terroriste depuis les années 1970. Le pays est par ailleurs réputé pour son système humaniste et pour sa société tolérante envers d’autres communautés.

Des informations peu étoffées

Pour ces deux cas, les enquêtes révèlent que des Ouzbeks sont responsables. Pour Saint-Pétersbourg, c’est l’origine familiale d’Akbarjon Djalilov, alors qu’il est officiellement Russe né au Kirghizstan, tandis que pour Stockholm, Rakhmat Akilov possède la citoyenneté ouzbèke. Du moins, c’est ce qui est rapporté par les médias à travers le monde. Mais comme souvent durant les « Breaking News », ces informations ne sont pas étoffées et peu de ces médias soulignent la différence entre un Ouzbek et un citoyen d’Ouzbékistan.

Pourtant, la distinction est importante dans les pays de l’ex-Union soviétique. Contrairement aux pays occidentaux, la nationalité et la citoyenneté d’un individu sont distinctes. Dans ce cas, la citoyenneté concerne l’appartenance civique de l’individu, tandis que la nationalité concerne l’identité ou l’appartenance ethnique. Bien souvent, la nationalité prime sur la citoyenneté lorsqu’un individu doit se définir par rapport à un autre.

Une société ouzbèke diverse

Plus largement, la société ouzbèke est diverse. L’identité ouzbèke moderne a été façonnée par des facteurs historiques et reste aujourd’hui un sujet de débat très régulier. Ce constat s’oppose frontalement à certaines affirmations hâtives faisant un lien entre ces attaques terroristes et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), un groupe terroriste établi en Afghanistan. Parfois, certains médias reprenant des dépêches de l’Agence France Presse vont même jusqu’à décrire l’Ouzbékistan comme « le foyer du djihad en Asie centrale ».

Pour mieux comprendre la situation, nous allons essayer de vous informer sur les aspects méconnus du djihad ouzbek. Depuis mars 2016, quatre évènements ont mis en lumière des Ouzbeks : une nounou qui décapite un enfant à Moscou, l’attaque de l’aéroport d’Istanbul en juin 2016, celle de la boite de nuit Reina à Istanbul en décembre et finalement les deux attaques à Saint-Pétersbourg et Stockholm.

Ces attaques ont presque toutes été commises par des Ouzbeks d’Ouzbékistan, ou à défaut par des personnes ethniquement ouzbèkes et possédant une nationalité différente. Pour le grand public, c’est le mot clé « ouzbek » qui permet d’associer toutes ces attaques terroristes à l’Ouzbékistan.

Des facteurs communs et différents pour chaque attaque

Y a-t-il des facteurs communs à toutes ces attaques faites par des Ouzbeks ? La réponse est oui et non. Oui, parce qu’il serait intellectuellement malhonnête de nier ces facteurs communs. Non, parce que chaque cas est différent, avec des raisons et des motivations bien différentes que l’ethnicité qui ont poussé ces personnes à l’acte.

Enfin, il sera intéressant anthropologiquement parlant d’analyser ces événements sous le prisme de l’ethnicité afin de bien comprendre les facteurs en commun qui poussent certains Ouzbeks vers la radicalisation.

Un contexte historique extrêmement important

Pour bien comprendre comment nous en sommes arrivés là, il est important d’aborder l’histoire récente de l’Ouzbékistan. La nation ouzbèke a été constituée sous l’Union soviétique. Jusqu’alors, les Ouzbeks vivaient sous différents centres de pouvoir où la notion d’Etat nation à l’européenne n’avait aucun sens. Les personnes étaient distinguées par leur ethnie et surtout par leur appartenance religieuse.

Avec l’Union soviétique, une classification des nations à l’européenne est apparue. Elle se basait surtout sur les différences linguistiques et ethniques des peuples de l’époque.  En réalité, cette classification avait peu d’importance dans la vie quotidienne des peuples sous l’Union soviétique, car il n’y avait pas de frontières ou de barrières administratives entre eux. Ainsi, il n’y avait par exemple pas de différences entre des Ouzbeks du Kirghizstan et d’autres d’Ouzbékistan.

Un cercle vicieux de répression et de radicalisation dès les années 1990

C’est à l’éclatement brusque de l’URSS que les frontières ont commencé à peser sur le quotidien des peuples vivant dans les zones périphériques. La fin de l’idéologie communiste a entrainé un vide politique. Cet espace a été rapidement comblé par un retour aux sources et aux racines de l’identité, qui occupent de plus en plus les discours politiques. Les nationalistes, les panturquistes et les islamistes ne reconnaissent pas le gouvernement hérité de l’Union soviétique et surfent sur le populisme radical anti-Soviet.

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Aux yeux des membres de gouvernement, les islamistes sont la priorité, car leur discours est le seul à toucher la partie la plus peuplée et la plus dense en Ouzbékistan, à savoir la région de Ferghana dans l’est du pays. De plus, ils ont réussi à soulever des masses contre le gouvernement en place.

Ce cercle vicieux a été le commencement d’une division de plus en plus marquée de la société ouzbèke. D’une part, le gouvernement a dénoncé toutes sortes d’opposants comme des islamistes radicaux, tandis que les islamistes radicaux ont accusé les citoyens qui ne les rejoignaient pas dans leurs combats comme des complices du gouvernement. Cette situation extrême a obligé des partis politiques à choisir un camp, ce qui a amené une radicalisation des idées politiques en Ouzbékistan, dès les années 1990.

Le dialogue et les débats ont cessé. La société civile est restée muette face à ce cercle vicieux qui peut engloutir n’importe quelle force : d’un côté le gouvernement avec toute sa puissance, de l’autre ces islamistes armés qui ont commis des atrocités.

La figure d’Abduvali Qori Mirzayev

Pendant cette période trouble, l’Etat a essayé de prendre le contrôle de tous les milieux politiques, sociaux et économiques du pays. Mais le vide politique a duré presque dix ans, ce qui a laissé apparaître des idéologues islamistes charismatiques, intelligents et bons orateurs, comme Abduvali Qori Mirzayev ou Djouma Namangani.

Si ce dernier s’est transformé en un vrai terroriste par la suite, c’est à Abduvali Qori Mirzayev que revient le titre de principal idéologue islamiste en Asie centrale. De fait, même avec des discours très radicaux, il n’a jamais pris les armes et n’a jamais mené de combat terroriste. De plus, sa « disparition » en 1995 à l’aéroport de Tachkent a créé un mythe extrêmement puissant.

Abduvali Qori Mirzayev Ouzbékistan islamiste

Cette « disparition » a laissé au gouvernement une image de mauvaise foi et a justifié encore davantage le combat des radicaux, en donnant un crédit encore plus grand aux discours radicaux d’Abduvali Qori Mirzayev. Même aujourd’hui, ses discours sont utilisés constamment par les radicaux centrasiatiques et ouïghours, ces derniers étant présents dans le nord-ouest de la Chine.

La « disparition » de Mirzayev exploitée par le Mouvement islamiste d’Ouzbékistan

La « disparition » d’Abduvali Qori Mirzayev a créé un culte d’un martyr qui a su aller au bout de ses idées. Cette rhétorique et les discours du radical ont été largement utilisés par la tête de pont des djihadistes ouzbeks : le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO). Constitué en 1998, ce groupe a commis plusieurs attaques dans la région de Ferghana, avant de se réfugier en Afghanistan. Le MIO a utilisé Abduvali Qori Mirzayev afin de recruter des djihadistes en Afghanistan.

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A la fin des années 1990, avec la consolidation des Taliban en Afghanistan et avec l’affaiblissement du Tadjikistan par la guerre civile, le MIO a pris une importance incontournable. Le mouvement djihadiste a commencé à peser sérieusement à la sécurité de l’Ouzbékistan, mais aussi dans d’autres pays d’Asie centrale. En plus d’attentats dans la capitale Tachkent en 1999 et d’attaques dans différentes régions du pays, le mouvement a même essayé de prendre le contrôle des districts montagneux de la région de Sourkhan-Daria, frontalière avec l’Afghanistan.

Il faut attendre le 11 septembre 2001 pour voir la chute progressive de MIO. En profitant de l’intervention américaine en Afghanistan, l’Ouzbékistan a réussi à inscrire le MIO dans la liste des organisations terroristes internationales. Par la suite, les Américains se sont chargés de faire tomber un par un les leaders et combattants importants du mouvement. Au fil du temps, le mouvement s’est dispersé, divisé en différentes branches, puis s’est entretué.  Un homme soupçonné d’être lié aux services secrets ouzbeks aurait même réussi à devenir le leader du mouvement. C’est dans cette situation désespérée que le MIO prête allégeance à l’Etat Islamique en août 2015.

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Cette allégeance était un cri désespoir du mouvement et en même temps un grand risque pour le MIO, car dans les terres des Taliban, prêter allégeance à l’Etat islamique est suicidaire. Ce suicide s’est réalisé peu après, en décembre 2015. Une photo a alors été publiée du corps d’Usman Gazi, le dernier émir du mouvement, avec une balle dans la tête. Diffusée par les Taliban, la photo était une leçon aux autres mouvements qui hésitaient à rejoindre l’Etat islamique en Afghanistan.

La disparition du MIO a rendu la traque des islamistes beaucoup plus délicate

Il est important de suivre l’histoire du MIO dans l’évolution du terrorisme parmi les Ouzbeks et les centrasiatiques. Quand le mouvement n’était pas qu’un groupe de terroristes mais aussi un mouvement politique, il rassemblait autour de lui une importante fraction des combattants d’Asie centrale voulant s’opposer à leur gouvernement par la lutte armée. Avec cette dimension politique, le MIO était un mouvement de rébellion avec des buts définis, comme celui d’instaurer un émirat islamique ouzbek en Asie centrale.

Paradoxalement, la destruction de ce mouvement a été pire que le mal. De fait, sa dislocation a engendré une sorte de combat nihiliste parmi les terroristes centrasiatiques. Ces terroristes ouzbeks, complétement arrachés à leurs pays et leur région, se sont retrouvés en Syrie dans les combats qui n’avaient aucun intérêt pour leurs visions politiques et leur vie personnelle. Du pain béni pour l’Etat islamique.

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Cette désorientation politique du combat des Ouzbeks est la raison principale derrière le fait qu’ils sont devenus de redoutables terroristes, utilisés pour les missions le plus meurtrières. La dispersion des terroristes ouzbeks partout dans le monde a rendu difficile leur traque. Chaque terroriste ouzbek s’est retrouvé seul et a cherché un groupe des terroristes à rejoindre. Souvent, ils ont été récupérés par d’autres groupes qui ne menaient pas un combat concernant l’Asie centrale. En fin de compte, c’était une guerre réussie pour l’Etat ouzbek, mais un désastre pour les autres.

L’effet paradoxal du combat contre le radicalisme

Dans son combat contre les radicaux, l’Ouzbékistan a mené une politique sans commune mesure. D’abord, l’Etat a garanti à ses citoyens qu’ils pouvaient pratiquer un islam officiel en contrôlant les mosquées par des imams formés par l’Etat. En conséquence, il y a eu une scission entre les musulmans pratiquant leur foi de façon personnelle et ceux pratiquant un islam politisé. L’Etat a continué à promouvoir l’islam officiel tout en réprimant constamment les pratiquants politisés, sous quelque forme que ce soit. Profondément sécularisée pendant l’ère soviétique, la société civile a répondu positivement à cette initiative de l’Etat tout en le soutenant dans son combat contre les radicaux.

Mais ce combat sans merci et par tous les moyens possibles de l’Etat ouzbek contre les radicaux et parfois les fausses accusations contre ceux qui ont défié le régime a eu deux effets majeurs sur la radicalisation des Ouzbeks.

La création de deux diasporas, dont l’une islamisée et politisée

Premier effet de cette double intolérance : de nombreux Ouzbeks radicalisés ont commencé à quitter le pays afin d’assurer leur sécurité mais aussi pour trouver des pays où leur radicalisme sera toléré. Deux diasporas ouzbèkes ont ainsi émergées dans des pays comme la Turquie, la Russie et encore en Europe. D’un côté, l’une s’oppose à l’Etat ouzbek et est fortement marquée par l’islam politique. De l’autre, on trouve une diaspora apolitique, ou du moins qui n’affiche pas ses convictions politiques.

La diaspora marquée par l’islam politique est aujourd’hui bien organisée, solidaire et mène des actions sociales et parfois politiques dans les communautés ouzbèkes. Celle apolitique apparaît peu solidaire, désorganisée, sans sens commun social et politique, avec pour seule fondation des intérêts économiques. Cette distinction a fait que la diaspora politisée est devenue de plus en plus active en attirant des nouveaux venus, engendrant une radicalisation de plus en plus marquée parmi les Ouzbeks à l’étranger. Cette radicalisation a eu des échos dans la société ouzbèke en Ouzbékistan également, par le biais d’Internet.

La société en Ouzbékistan a cédé à une conservatisme religieux

Le deuxième effet de la politique de l’Etat ouzbek a été que la partie radicalisée de la société qui n’a pas pu ou qui ne voulait pas quitter le pays s’est cachée au sein de l’islam officiel, tout en menant une sorte de « soft power » en promouvant un conservatisme religieux sévère. Des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, ces radicaux ont réussi à mener une radicalisation « soft » parmi les pratiquants de l’islam, en associant la religion aux affaires économiques. Ils ont ainsi créé des réseaux puissants parmi les commerçants et les hommes d’affaires ouzbeks, créant le modèle d’un pratiquant qui a réussi sa vie tout en pratiquant l’islam.

Face à la mondialisation rampante et les discours de plus en plus xénophobes de la société russe envers les centrasiatiques, le religieux conservateur est devenu l’homme modèle parmi les Ouzbeks non-russifiés ou non-occidentalisés.

Cette « mode » a été renforcée avec l’arrivée du cheikh Muhammad Sodiq Muhammad Yusuf. L’homme était réputé pour son charisme et sa fermeté dans son conservatisme religieux. Il a réussi à rassembler les religieux de milieux différents autour de lui, renforçant une sorte de nouvel islam qui se base sur des textes fondamentaux, mais qui en même temps reste tolérant des traditions et des mœurs locales.

La puissance du cheikh Muhammad

Le cheikh a réussi à apaiser les conflits entre salafistes et soufistes ouzbeks, qui étaient constants,  parfois émaillés de violence. Désormais, une sorte d’islam hybride est pratiqué, contenant des éléments salafistes, mais aussi du soufisme, tout en se conformant à la politique de l’Etat. Le cheikh Muhammad a également reçu un soutien politique de la part du gouvernement afin qu’il stoppe la fuite des radicaux vers les groupes terroristes en les maintenant autour de lui. Le cheikh a ainsi crée un réseau solide d’hommes d’affaires, de personnalités politiques et de savants islamiques en Ouzbékistan et dans l’espace post-soviétique.

Pour renforcer sa présence médiatique, des sites Internet ont été lancés, où l’on pouvait poser des questions directement au cheikh Muhammad, qui répondait publiquement. Ce mode de communication, atypique en Ouzbékistan, où une personne d’autorité parle directement avec les membres le plus ordinaires de la société, a eu un succès énorme. Le pays n’avait pas connu un tel enthousiasme pour une personnalité religieuse depuis la disparition d’Abduvali Qori dans les années 1990. Mais en mars 2015, après une crise cardiaque, le cheikh décède. Durant son dernier voyage, le rôle immense du cheikh parmi les pratiquants a été démontré par la foule présente pendant ses funérailles.

Le succès du cheikh Muhammad a été à double tranchant pour l’Etat ouzbek. Si le religieux et ses élèves ont réussi à rassembler tous les pratiquants autour de lui en évitant des radicaux vers les groupes terroristes, ils ont également crée un milieu très conservateur parmi les pratiquants dans la société ouzbèke. L’influence du cheikh a renforcé une mode voulant qu’un conservateur soit misogyne, dogmatique et à l’écoute des commandements des personnalités religieuses, quels que soient les souhaits de cette dernière.

Le conservatisme de la société ouzbèke, premier niveau de radicalisation

Cette arme puissante mais dangereuse, qui était uniquement entre les mains du cheikh, a dû être partagée entre ses élèves et les autres imams après sa mort. Ses élèves, bien que tous issus de l’école du cheikh, ont des visions différentes des relations entre islam et politique. Parfois, par manque de compréhension ou par conviction personnelle, ils laissent déborder les questions religieuses sur les affaires politiques et publiques, ce qui n’est pas constitutionnel. Parmi les exemples les plus connus à l’étranger, on trouve la déclaration d’un imam de Tachkent demandant au gouvernement d’arrêter de former des hommes gynécologues. Cette demande est loin d’être un cas isolé.

C’est dans cette plateforme très conservatrice religieusement que se développe un premier niveau de radicalisation, en se basant sur des dogmes religieux très stricts. La suite du « parcours », c’est une émigration massive des Ouzbeks vers des pays comme la Russie, le Kazakhstan, la Turquie et en Europe, où des diasporas radicalisées renforcent la radicalisation de ces nouveaux venus en profitant de leur conservatisme religieux.

La répression du gouvernement a été plus dangereuse que salvatrice

A ces facteurs historiques s’ajoutent un facteur politique majeur. A la fin des années 1990, le gouvernement ouzbek a pris pour habitude de condamner les opposants sous des prétextes religieux. Mais par la suite, ce sont les opposants eux-mêmes qui ont commencé à s’appuyer sur le radicalisme rampant. L’islam a été instrumentalisé comme une idéologie d’opposition contre le gouvernement qui continuait de promouvoir la laïcité.

Durant les années 1990, les succès du recrutement du MIO a poussé les opposants  à se radicaliser afin de récupérer des militants politiques de ces mouvements. Même Muhammad Salih, qui s’est auto-proclamé chef de l’opposition ouzbèke, aurait conclu une alliance avec le chef de MIO Tahir Yuldash. Cette information n’est cependant pas vérifiée. En réalité, Muhammad Salih, comme beaucoup d’autres opposants, a joué avec l’islam politique, surtout pendant les printemps arabes. L’opposant a essayé de créer une sorte de Frères musulmans à l’ouzbèke, mais a échoué du fait de la médiocrité de son image, même parmi les islamistes.

L’Etat ouzbek mène une guerre d’information

La montée de l’islam politique parmi les opposants et les réfugiés politiques s’est rajoutée à la radicalisation des diasporas ouzbèkes en Turquie et en Europe. L’Ouzbékistan a répondu à cette tendance par une guerre d’information, en accusant ces diasporas d’être liées aux mouvements terroristes. Cet argument, très politisé, est basé sur des faits réels, notamment en Turquie et en Suède, pour lesquels l’Ouzbékistan a alerté à plusieurs reprises. Cette ambiguïté dans les communications et surtout le manque de dialogue avec les autres Etats et l’Ouzbékistan sont exploités par les islamistes ouzbeks. Ils profitent également de l’Etat de Droit occidental, basé sur les droits de l’Homme pour s’introduire dans les territoires des Etats européens.

Dans le cas de Stockholm, l’Ouzbékistan a alerté indirectement les autorités suédoises précisément sur le profil de Rakhmat Akilov. Dans le même temps, la Suède accueille de nombreuses filiales d’organisations extrêmement radicales, qui se disent « non violentes ». Par exemple, le Hizb ut-Tahrir, connu pour ses discours radicaux sur la re-création d’un califat islamique à travers le monde. L’organisation appelle au djihad pacifique, mais avec un discours qui reste très radical. Hizb ut-Tahrir est ainsi un centre d’éducation avant le djihad armé. Les membres ouzbeks d’Hizb ut-Tahrir sont très actifs en Suède et mènent une propagande de grande envergure sur Internet et les réseaux sociaux. Cette propagande est très efficace en Asie centrale où l’on parle peu de politique sur les plateformes publiques et surtout officielles.

Les langues locales négligées

Un autre facteur laissant entendre que la propagande islamiste a de nouvelles prises dans la population tient au vide politique apparu dans l’éducation aux langues locales pour privilégier le russe, considéré comme la langue de l’élite et de l’intelligentsia. Ce vide a laissé une place énorme à la propagande dans les langues locales centrasiatiques. De plus, les locuteurs russes ont un certain snobisme vis-à-vis des non-locuteurs, associé à une négligence de la langue ouzbèke. En conséquence, la non-considération des personnes qui ne parlent pas russe s’ajoute à la division de la société ouzbèke, où les locuteurs russes se sont tournés vers des modes de vie à la russe ou à l’occidentale, alors que le reste est plus porté sur le traditionalisme et le conservatisme religieux.

Les groupes terroristes, les organisations radicales et même les clergés profitent de cette division pour attirer l’attention des couches les plus populaires de la population, en majorité depuis l’indépendance. La couverture des médias ouzbeks depuis l’attentat est ainsi représentative. Si les informations en russe sont la plupart du temps alignées avec les médias officiels de la Russie et de l’Ouzbékistan, les médias en langue ouzbèke vont souvent à l’encontre des positions politiques russes, sans pour autant soutenir la politique occidentale et jouent beaucoup sur le nationalisme et le conservatisme religieux.

Un fossé entre couches populaires et supérieures

Ce fossé a toujours existé, mais les couches populaires qui ne parlent pas russe n’avaient auparavant pas accès aux plateformes où elles pouvaient exprimer leurs opinions sur la société, la politique et l’économie. Les couches populaires comptent également des religieux beaucoup plus politisés que les autres, car ils se voient comme les meneurs des couches populaires non russifiées. Leur politisation n’est pas passée par la Russie, ni par l’Occident, mais par d’autres centres politiques comme la Turquie, l’Egypte et des pays du Golfe avec une touche nationale. C’est la partie alternative, qui dit protéger l’identité musulmane face à la Russie et l’Occident.

Bien que ces transformations sociales se répandent rapidement, la société ouzbèke reste profondément traditionaliste, en se basant sur la philosophie d’un islam soufiste et rationaliste. Mais laisser mijoter la situation sans agir pourrait amener à la radicalisation de la société ouzbèke par le conservatisme religieux, dans une société où on entend de plus en plus les appels bruyants des clergés.

La solution que l’Etat ouzbek a mis en oeuvre jusqu’à nos jours, à savoir la répression brutale des radicaux et des opposants, n’est plus aussi efficace qu’avant. Avec le développement des nouvelles technologies, n’importe quelle arrestation ou même une pression envers une personnalité religieuse fera beaucoup de bruit et participera à la création du mythe d’un héros martyrisé.

5 facteurs pour expliquer le phénomène radical ouzbek

En résumé, la présence aujourd’hui d’Ouzbeks ethniques et de citoyens est le résultat de plusieurs facteurs bien distincts. Tout d’abord la répression historique de l’Etat ouzbek envers toute contestation, qui a créé une diaspora islamisée et active à l’étranger, et qui n’a pas résolu le problème à l’intérieur du pays puisqu’un conservatisme religieux prospère. De plus, la société ne tolère pas les radicaux, ce qui les poussent également à partir. S’y ajoute la dislocation du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, qui a rendu difficile la traque des islamistes en les dispersant à travers le monde et les mouvements radicaux, dont l’Etat islamique.

Cinquième facteur : la radicalisation des nouveaux Ouzbeks émigrés, notamment en Russie, où ils trouvent une population très condescendante voire raciste à leur égard. L’idée selon laquelle les Ouzbeks se radicalisent à l’intérieur de leur pays avant d’aller directement en Syrie est donc fausse.

L’importance d’une réforme politique

Dans ces conditions délicates, il est important que le pays réaffirme sa position sur la laïcité et sur sa législation constitutionnelle, en laissant émerger une société civile avec de multiple forces. Sans cela, il sera impossible de tenir des masses de la population aujourd’hui au stade du conservatisme religieux, qui sont une véritable bombe à retardement. Conserver une intelligentsia laïque, rationnelle, philosophiquement vaste et détachée des dogmes religieux pourra permettre à l’Etat d’anéantir un radicalisme rampant mais caché dans la société ouzbèke. Mais pour cela, l’Etat doit faire des efforts de son côté pour régler les problèmes sociaux.

Le nouveau président, Chavkat Mirzioïev, se fait remarquer depuis son élection en décembre par sa politique de transparence en tendant la main vers les classes populaires. Cependant, il va falloir que cette politique populiste se transforme en une vraie politique de fond avec des solutions concrètes. Les grands maux de la société ouzbèke, comme l’inégalité entre les villes et les zones rurales, l’éducation et surtout la corruption généralisée doivent être débanalisées avec des solutions viables pour la population.  La situation de chaos social avec des inégalités et des injustices banalisées sont les moteurs le plus puissants de la radicalisation religieuse, plus que la pauvreté ou la mauvaise éducation.

Akhmed Rahmanov
Chercheur au Centre des études de sécurité régionale de Tachkent

https://www.novastan.org/fr/ouzbekistan/terrorisme-pourquoi-voit-on-autant-douzbeks-dans-les-attentats/